Son père n’est autre que le docteur Pierre Scherrer, médecin-directeur de l’hôpital psychiatrique d’Auxerre de 1942 à 1975. Etre psychiatre n’est pas incompatible avec une attirance pour l’art et c’est ainsi qu’il fut aussi l’initiateur du Ciné-club de sa ville dans les années 70-80. C’est également lui qui, dans son livre L’hôpital libéré Souvenirs d’un psychiatre, mentionne la cellule des tortures de la Gestapo, aménagée dans l’hôpital psychiatrique d’Auxerre. 


Jean-Louis Scherrer entre donc en scène l’année où Michel Jazy bat les records du monde du 2000 et 3000 mètres, on déclare l’indépendance de l’Algérie, le paquebot France fait sa première traversée de l’Atlantique, le Mont Blanc a enfin son tunnel, John Steinbeck reçoit le prix Nobel,  on applaudit La guerre des boutons et Le repos du guerrier, Roger Nimier se tue en Aston Martin…


Et sa collection est immédiatement un succès.


En 1960 déjà, de passage au Japon, il avait rencontré Kumiko Tsutsumi, membre du groupe nippon Seibu, qui lui demanda alors de dessiner des modèles exclusifs pour les grands magasins que la famille possédait.


En 1971, pour pouvoir ouvrir boutique avenue Montaigne à Paris, il passe sous le contrôle de la société Orlane, laquelle est cédée au groupe Max Factor en 1976 (Scherrer récupèrera alors son nom pour un franc symbolique). En 1989, fatigué de la gestion et soucieux de protéger sa marque, il est aussi à la veille d’une grave intervention chirurgicale et décide de faire appel à des partenaires : le groupe Seibu, qui lui achète la société. Il y devient salarié, et garde 12% du capital.

 


Mais son élimination était programmée, comme il le dira plus tard : « Mon élimination était programmée de longue date. Il y a des indices qui le prouvent. Mes moyens étaient régulièrement diminués. Dès le début, l'amitié a cédé le pas devant l'argent. » Il vivra très mal cette terrible mésaventure au cours de laquelle il sera remplacé par Erik Mortensen, ancien styliste de chez Balmain. Des disputes éclatent, les ondes ne passent plus sans crépitement entre les Japonais et Scherrer, blessé. Devant l’argent, l’amitié s’est effritée. Puis désagrégée.


Jean-Louis avait pourtant déjà dû changer son fusil d’épaule puisque son premier souhait avait été de devenir danseur. Une grave chute lui avait fait reconsidérer son avenir.


C’est un grand couturier à l’ancienne qui s’en va. Le monde de la vraie couture, de celle qui a habillé de classe l’impeccable Jackie Kennedy, de féline élégance la ravissante Claudia Cardinale, et tant d’autres grandes figures féminines d’alors. Une vie de 78 ans, c’est court, mais quel  beau sillage de tissus aux teintes exotiques, de drapés amoureux, et de belles femmes aux formes serties par le choix de son œil a-t-il laissé…

 

                                                                                                  Suzanne Dejaer