On ne peut mettre au point des découvertes changeant le quotidien et éviter qu’elles… le transforment vraiment. On voudrait évoluer, améliorer, mais garder inchangé ce qui a marché dans le passé, a fait ses preuves, nous maintient sur un sol ferme. « Dans le temps »… est un exemple toujours parfait. Les enfants obéissaient, les contrats se faisaient sur un tope-là et un jet de crachat, les paroles se tenaient.

 

Les bons élèves d'autrefois...

 

Les jolies profs du cinéma...

(Pourtant, on le sait, les escrocs à la dot, aux actions en  bourse, les voleurs de bijoux, les vendeurs de fausses cartes au trésor, les roublards aux poker sévissaient aussi…)

Mais comment dévoiler les merveilles de l’informatique, du net – et combien d’adultes d’âge respectable s’en délectent-ils, de ces clics qui leur ouvrent le monde sur un ordi s’ils maîtrisent le savoir de base – et penser que la jeunesse ne va pas y foncer, pénétrer ces terrae incognitae avec le souffle court qu’un jour peut-être ont eu David Crockett ou Marco Polo ?

Comment, par des découvertes journalières, donner des espoirs de  vie ou survie à des gens qui seraient morts il y a 50 ans, et ne pas accepter que ça s’accompagnera d’une toute autre dimension aux concepts de santé et maladie ? La petite fille souffreteuse que j’ai connue dans mon enfance, qui savait qu’elle ne pourrait pas se marier et ne devait pas trop courir en cour de récréation aurait, aujourd’hui, une toute autre image des possibilités de son avenir !

Encore des enfants bien sages (sur l'image en tout cas)

La méthode se déploie!

 

Comment nous libérer, nous, de certaines conventions du langage dans des films où les gros mots ne sont que de banals dialogues, et escompter que les jeunes ne vont pas aller un peu plus loin encore ? Les grands adultes d’aujourd’hui ont  bruyamment vécu les bouleversements sociaux de mai 68, Woodstock, l’après-Vietnam… Soutien-gorge au rebut, mariage  banni, amour comme il vous plaira à la claire fontaine, femmes et hommes égaux autant qu’ils peuvent l’être en commençant par la chevelure, Peace, Love and Rock’n’ roll… mais les grands appétits de la jeunesse d’aujourd’hui sont vus comme une calamité effroyable.

Ca l’est peut-être. L’avenir nous le dira. Quand ce qui se vit aujourd’hui sera « dans le temps ».

C'était le grand modernisme à l'époque...

 

Qui eût alors songé à ceci?

Les revirements multiples des valeurs auront apporté une autre façon de considérer les choses, remplacé certaines honnêtetés par d’autres, et bien des hypocrisies par d’autres aussi. On changera peu, cependant, aux réalités constantes : les relations humaines sont posées sur du sable mouvant, les alliances aussi, et seules une ample dose de bonne foi, et une autre de foi tout court maintient l’esquif humain sur les flots. Sur des mers furieuses ou d’huile, selon les moments.

Cette époque-ci – conséquence de deux guerres rapprochées, qui ont fait prendre conscience, à deux générations successives, que les femmes avaient du biceps et de l’endurance, et qui a foncé comme un train fou vers des découvertes multiples et changements sociaux qui ont métamorphosé le quotidien – a fait voler en éclats un autrefois qui s’était construit plus lentement, plus laborieusement. Des femmes ont vécu leur vie entière en corsets, baleines et longues robes. Des hommes ont chouchouté leurs moustaches du premier duvet pâle jusqu’au troisième âge. Nous, nous n’arrivons plus toujours à remonter le fil des modes que nous avons déjà usées et qualifiées de démodées.

Chaque génération connaît sa solitude face à son propre avenir. Effraye ses « anciens ». Et regarde sans indulgence ce que ces anciens ont fait, de leur avenir-qui-est-derrière-eux. On fera mieux. On ne fera pas les mêmes erreurs. On est mieux outillés. On en sait tellement plus. Chaque génération vit tout simplement son écolage, avec les enseignants qu’elle choisit. Ayons confiance : si nous sommes là c’est qu’il y a toujours des premiers de la classe, et puis tous les pas-si-mauvais-que-ça. Et l’esquif vogue toujours …

 

                                           Suzanne DEJAER