Les cimetières tels que nous connaissons ont pris leur origine au 6ème siècle. Jusque là en Europe on incinérait principalement – quoique les Gaulois n’aient pas souscrit à cette pratique -, mais l’Eglise catholique s’y opposa avec de plus en plus de force.  On inhumait donc notables et religieux dans les églises, tandis que les pauvres étaient entassés tout d’abord dans de rudimentaires nécropoles situées loin des lieux d’habitation, pour ensuite revenir, durant le haut Moyen-Age, autour des églises, car au fond, si pauvre qu’on fut, on « se faisait sonner les cloches » et c’était dans l’escarcelle de la paroisse que tombait le revenu régulier du carillon. Il n’y avait ni délimitation ni architecture particulière, et les pauvres hères allaient dans une fosse commune qui restait à l’air libre tant qu’elle n’était pas remplie.

Par la suite le cimetière devint un lieu consacré, avec pour conséquence qu’il y avait bien des exclus : les Juifs, les suicidés, les enfants morts sans avoir été baptisés, les hérétiques, les excommuniés. Le cimetière devint aussi lieu d’asile ainsi que de rencontre : on s’y promenait, on y racolait, on s’y tenait au courant de ce qui se passait. C’était donc loin d’être un lieu sinistre. Il pouvait parfois même être tellement animé qu’il fallut des édits pour y interdire la danse et le commerce vénal.

C’est au siècle des lumières que l’on s’indigne de toute cette malsaine promiscuité entre repos des défunts, et bonnes affaires et joies multiples des vivants. Il faut dire que les épidémies se suivaient, naissant sans difficulté sur ce lieu dont la pestilence amenait, en effet, la peste. On ordonne alors la construction de cimetières aux portes de la cité, souvent entourés de murs. Plus tard on précisera qu’ils doivent se trouver hors ville et même loin des faubourgs.  Enfin, le cimetière cesse aussi d’être religieux et tout le monde peut y reposer dans la paix de ses allées…

Un cimetière c’est un lieu où passé et avenir tournoient comme les feuilles mortes, où on pleure les morts récents et raconte les autres en leur offrant des fleurs aux riches teintes orientales. On bouscule de la paume, sur la pierre érodée ou luisant encore de sa jeunesse, aiguilles de pin ou feuilles, ou encore ailettes de tilleuls qui sont venues mourir sur le nom de l’aimé, gravé dans la pierre ou le marbre. Un peu comme on caresserait le drap de lit d’un autre aimé pour assainir son sommeil. On se souvient. On appelle à soi les images d’un autre temps, le son de la voix… On aime.

Sous la généreuse ramure, le repos - Photo AuxerreTV (D.R.)

Promenade aussi dans les allées de ces parcs de repos dont parfois le rire d’un enfant, le parler discret des visiteurs au pas lent, chiffonnent le silence. Des arbres bienveillants se sont abandonnés à leur joie de pousser et ont sans bruit soulevé les pierres… créant des tombes de guingois…

Pierre contre nature... Photo AuxerreTV (D.R.)

Une heureuse indifférence fait qu’un chat patient, le bout de la queue frôlant une stèle où sourient des visages d’autrefois, fixe le va et vient d’un écureuil insouciant. Lieu de vie, de chasse, de jeu, de petits plaisirs.

 

Le chasseur - Photo AuxerreTV (D.R.)

 

Le chassé - Photo AuxerreTV (D.R.)

Des pleureuses de marbre ou de pierre chantent le travail d’un artisan inspiré par ces défunts que l’on ne voulait pas oublier.

La pleureuse éternelle - Photo AuxerreTV (D.R.)

La seule tristesse qu’il y ait dans un cimetière est celle, parfois, qui habite notre cœur : un deuil encore récent, ou une douleur ravivée l’instant d’un souvenir. L’année prochaine ça ira mieux. En attendant… ici c’est vraiment la substance de la vie qui s’impose : odeurs de buis, de marrons tombés au sol, de feuilles affaissées et alourdies par la pluie, teintes à la fois sobres et somptueuses de natures mortes évoquant le vin, le gibier, le cuivre et la dentelle du nord, et ce grand don du silence pour mieux entendre son âme et retrouver son chemin…

 

                                                     Suzanne DEJAER

 

 

 

À LA RECHERCHE DE LA TOMBE DE MARIE NOËL


L'HOMMAGE À PAUL-BERT : GARE À L'OBSURANTISME RENAISSANT