C’est ce 12 avril 2015, à 14h30, que cet échange de prestige a eu lieu à l’hôtel des ventes de Joigny, rue Aristide Briand.

Un trait de bic à l’encre noire, parti comme dans un mouvement automatique et inconscient mais poursuivant pourtant, pour l’atteindre, le but de  capturer un visage. Visage attentif, aux grandes oreilles, au regard qui voit ce qu’il regarde, à la bouche sérieuse, fermée sur l’attention portée à l’invasion d’une voix, d’une image, d’une mélodie dont le secret ne nous sera jamais révélé. Peut-être un croquis surgi de l’idée du télévangéliste américain dont parle l’article du journal. Peut-être pas.  Il ne ressemble pas du tout au prêcheur, qui avait une mâchoire plus imposante, trait assez caractéristique. On ne saura jamais et ce qu’on ne sait pas a une histoire toujours en cours, portée par le mystère, alors que ce qu’on sait … n’a plus rien à dire. De quoi accepter plus légèrement les discrètes inconnues dans le monde de l’Art.

 

Alberto Giacometti (1901 – 1966) était le fils d’un peintre impressionniste, Giovanni Giacometti. Il nait et grandit en Suisse, à Borgonovo dans le Val Bregaglia. Dès 1926 la sculpture océanienne et africaine le séduisent. Les colonies les ont mises au goût du jour, on en découvre les lignes et le langage, que Picasso et d’autres ont introduit dans la décoration moderne. Ensuite, les 4 années qu’il passera dans le Mouvement surréaliste d’André Breton laisseront aussi leur empreinte dans sa vision de l’art. C’est en 1935 qu’il cherche à représenter la réalité, et commence une série de têtes. Dix ans plus tard, ce sont les hautes silhouettes de bronze filiformes, étirées,  qui apparaissent dans son œuvre. Encore dix ans et le voici qui s’associe avec des écrivains et poètes dont il illustrera les œuvres : René Char, Jean Genet, Paul Eluard et tant d’autres…

C’est en avril 1924, âgé de 23 jeunes et gourmandes années, qu’il rencontre Picasso, de 20 ans son aîné. Il s’est rendu à une exposition de ce dernier à Paris où il vit depuis deux ans, et écrit à son père « ce sont les meilleures choses modernes que j’ai vu jusqu’à présent à Paris et sur cette voie il peut arriver à des choses magnifiques. Ailleurs on voit partout les mêmes choses des mêmes peintres ». Ils vont sympathiser et sous certains aspects – certains seulement – leurs vies sont assez parallèles. En 1932 Picasso se rend au vernissage de la première exposition personnelle de Giacometti, ce qui le remplit de joie. Zervos, un proche de Picasso lui consacre alors un article dans Cahiers d’art – revue qu’il a fondée en 1926 - juste après le numéro spécial sur … Picasso. En 1937, les œuvres de Giacometti et Picasso sont exposées côte à côte dans la galerie de Pierre Matisse à New York. Pendant des années avant la guerre ils mangeront presque tous les jours ensemble chez Lipp. Balthasar Klossowski de Rola (1908-2001) mieux connu sous le nom de Balthus se joint au cercle, rapidement, et le trio aime parler travail.

Zervos avait acheté, en 1937, une fermette près de Vézelay à la Goulotte, qui verra défiler, comme hôtes occasionnels, diserts et heureux compères, Picasso, Léger, Le Corbusier, Eluard, Char, Giacometti, Balthus et d’autres. Giacometti aimait plaisanter, contrairement à la légende qui le veut sombre, était tout simplement influencé par un sourire qui ne lui plaisait pas, à cause de mauvaises dents.

Maison Zervos en 1937 - Photo Christian Zervos (D.R.)

A son décès, la collection que Zervos avait créée avec toutes les œuvres souvent données par les artistes amis qu’il fréquentait, lui rendaient visite dans l’Yonne et dont il parlait dans ses Cahiers d’art, fut en partie vendue, et l’autre offerte à la ville de Vézelay, et c’est ainsi que la maison de Romain Rolland fut plus tard aménagée pour l’accueillir. Une collection diversifiée et témoigne entre autre d’un demi-siècle d’activité artistique à Paris : Max Ernst, Kandinsky, Calder, Giacometti, Picasso, Miro, Léger etc…

 

                                             Suzanne DEJAER

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