Le vignoble du chablisien menacé par des polluants si l'autorisation d'exploiter une centrale d'enrobage est donnée à Saint-Cyr-les-Colons. Le dossier devrait se dénouer dans les prochaines semaines (DR)



Dorane Desalme, enseignante chercheuse à l'Université de Lorraine, se dit inquiète en tant que scientifique (DR)

 

 

AUXERRE TV.- Vous êtes Docteur en sciences de la vie et de l'environnement et Maître de Conférences à l'Université de Lorraine. Que savez-vous du processus de contamination ?

Dorine Desalme.- J'ai travaillé sur la contamination des plantes soumises à une pollution atmosphérique en hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) pendant mon doctorat [1].

Ce sont des substances reconnues toxiques, mutagènes, et cancérogènes par l'agence internationale de recherche sur le cancer de l'OMS[2]. Elles sont émises par toute combustion incomplète de matière organique (fossile ou vivante). Il en existe à peu près 130, qui diffèrent en taille et donc en masse, et une vingtaine d'entre eux sont couramment suivis et étudiés. Nous y sommes exposés directement par inhalation et indirectement via notre alimentation  par ingestion de nourriture contaminée.

Quelles sont les sources d'émission ?

D.D.- Les sources d'émissions sont multiples, le chauffage domestique et le trafic routier étant les principales sources à l'échelle nationale (
http://www.citepa.org/fr/air-et-climat/polluants/polluant-organiques-persistants/hydrocarbures-aromatiques-polycycliques)[3]. A l'échelle locale, certaines usines, notamment celles de l'industrie du bitume et du goudron, contribuent de manière non négligeable aux rejets atmosphériques de HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques).
Une fois dans l'atmosphère, ces polluants sont transportés sur une distance plus ou moins longue avant de se déposer dans l'environnement, à la surface des feuilles, du sol ou dans les cours d'eau [4, 5].

Les HAP les plus lourds associés aux particules de l'air tomberont aux abords du site d'émission, tandis que les HAP les plus légers, très volatiles, pourront parcourir plusieurs kilomètres sous forme de gaz.  La quantité et le profil en HAP des dépôts varient selon la distance au site d'émission, la direction et la force des vents, la topographie et le relief.

La nature reprend souvent vite le dessus, autrement dit, le processus une fois engagé peut-il s'inverser ?


Dans l’environnement, les HAP sont persistants (résistent à la dégradation) et s'accumulent dans les végétaux et les sols. Les feuilles des arbres sont même utilisées pour mesurer la pollution atmosphérique de certains sites (biosurveillance végétale)[6].

Le risque de contamination des fruits, en particulier dans le cas présent du raisin, existe pendant toute la période de végétation de la vigne, et pas seulement lors de la floraison. Le risque de contamination du raisin serait important dès la fructification, par dépôts directs sur celui-ci mais aussi  par transfert des polluants absorbés au niveau des feuilles vers le fruit.

En outre, les HAP sont connus pour leurs effets phytotoxiques, et pourraient causer une diminution de la production végétale, en termes de quantité et de qualité [7-9].

Mais comment évaluer les risques ...?

Compte-tenu de ces faits scientifiques avérés, il faut être conscient que l'installation d'une centrale d'enrobage va augmenter les rejets atmosphériques de HAP dans son environnement proche et présente donc des risques :

- d'exposition directe des populations vivant à proximité à des concentrations relativement élevées en HAP dans l'air.

- de transfert de ces polluants dans l'environnement, notamment dans les produits agricoles et viticoles cultivés à proximité.

Un risque à prendre d'autant plus en compte que de nombreuses exploitations viticoles sont labellisés BIO et soumises à une réglementation stricte en matière de teneurs en certains polluants.

Que préconisez-vous en tant que scientifique ?


Il est nécessaire que le préfet du département soit bien conscient de ces risques et qu'ils soient correctement évalués en prenant en compte :

- les données de terrain qui conditionnent les retombées atmosphériques de HAP (situation géographique des exploitations par rapport à la centrale, direction/force des vents, topographie, relief, etc.)

- les données expérimentales acquises dans d'autres régions suite à l'installation d'une telle usine (par exemple à St Etienne-lès-Remiremont en Lorraine).

Vous qui avez observé et suivi de nombreux dossiers, la construction d'une centrale d'enrobage en chablisien est-elle de nature à vous inquiéter ?

En tant que scientifique, je suis inquiète par rapport à l'installation de ce type d'usine à proximité d'exploitations et de populations, mais je n'y suis pas totalement opposée car je ne connais pas bien les données de terrain dans le cas actuel.

Par contre, j'insiste sur le fait que l'installation de cette usine présente des risques qu'il faut étudier en détail et évaluer de manière rigoureuse avant qu'une décision soit prise.

Est-ce vraiment possible, c'est-à-dire faisable ?

Malheureusement, pour évaluer correctement les risques, il faudrait pouvoir mesurer les émissions de polluants  et doser les concentrations dans les végétaux, ce qui ne pourra être fait qu’une fois la centrale d’enrobage installée… donc trop tard si une contamination est constatée.

L’évaluation des risques en amont ne peut se faire qu’en se basant sur les données scientifiques acquises suite à l’installation d’autres usines du même type en France ou dans le monde (par exemple des mesures de rejets atmosphériques ou des mesures d’impacts écotoxicologues), et en les confrontant aux données de terrain.


Recueilli par Pierre-Jules GAYE

 


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Références

 

1.  Desalme, D., Contamination atmosphérique par les Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques, 2011, Université de Franche Comté.

2. IARC, Polynuclear Aromatic Compounds, Part 1: Chemical, Environmental and Experimental Data, in IARC Monographs on the Evaluation of Carcinogenic Risks to Humans1983, IARC Monographs Working Group on the Evaluation of Carcinogenic Risks to Humans: Lyon. p. 477 pp.

3. CITEPA, Emissions dans l'air en France métropolitaine: polluants organiques persistants, in Rapport d’inventaire national : inventaire des émissions de polluants atmosphériques en France - séries sectorielles et analyses étendues2010, Centre Interprofessionnel d'Etudes de la Pollution Atmosphérique: Paris.

4. Desalme, D., P. Binet, and G. Chiapusio, Challenges in Tracing the Fate and Effects of Atmospheric Polycyclic Aromatic Hydrocarbon Deposition in Vascular Plants. Environmental Science & Technology, 2013. 47(9): p. 3967-3981.

5. Srogi, K., Monitoring of environmental exposure to polycyclic aromatic hydrocarbons: A review. Environmental Chemistry Letters, 2007. 5(4): p. 169-195.

6. Simonich, S.L. and R.A. Hites, Organic pollutant accumulation in vegetation Environmental Science & Technology, 1995. 29(12): p. 2905-2914.

7. Wieczorek, J.K. and Z.J. Wieczorek, Phytotoxicity and accumulation of anthracene applied to the foliage and sandy substrate in lettuce and radish plants. Ecotoxicology and Environmental Safety, 2007. 66(3): p. 369-377.

8. Oguntimehin, I., F. Eissa, and H. Sakugawa, Negative effects of fluoranthene on the ecophysiology of tomato plants (Lycopersicon esculentum Mill): Fluoranthene mists negatively affected tomato plants. Chemosphere, 2010. 78(7): p. 877-884.

9. Oguntimehin, I., N. Nakatani, and H. Sakugawa, Phytotoxicities of fluoranthene and phenanthrene deposited on needle surfaces of the evergreen conifer, Japanese red pine (Pinus densiflora Sieb. et Zucc.). Environmental Pollution, 2008. 154(2): p. 264-271.

 



 Dorane Deselme sur le terrain lors d'une mission effectué en Thailande au mois de juin dans les plantations d'Hévéa (DR)

Dans un paysage enchanteur, ces vignes sont cultivées depuis le XIIe siècle par les moines cisterciens de l'abbaye de Pontigny situé à une quinzaine de kilomètres (DR)

 

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