Nombre d’Auxerrois ont exprimé leur étonnement après les aveux du maire Crescent Marault, lors de sa garde à vue, dans l’affaire suspecte du marché public de la médiathèque de Saint-Georges-sur-Baulche où il aurait reconnu les faits, selon son avocat, ainsi qu’une prise illégale d’intérêt et un faux en écriture privée.

Le maire a utilisé son entreprise Équip’Buro pour l’aménagement et la fourniture de mobilier de la médiathèque alors qu’elle ne pouvait souscrire à l’appel d’offre. Et surtout il a monté sciemment un système de tricherie élaboré pour contourner et duper.

On pouvait donc se poser la question d’une mise en examen.

La mise en examen est une décision du juge d'instruction dans le cadre d'une information judiciaire. Une personne soupçonnée d'infraction et contre laquelle il existe des indices graves ou concordants peut être mise en examen après que le procureur de la République ait decidé de l’ouverture d’une information.    

Or le dossier de la médiathèque de St-Georges-sur-Baulche, qui est bouclé, est entre les mains du procureur de la République de Sens où l’affaire a été dépaysée. D'autres enquêtes préliminaires éventuellement en cours constitueraient d'autres procédures. On sait que deux délibérations concernant un lotissement à Saint-Georges-sur-Baulche ont été retoquées par la préfecture. Et que la police judiciaire a découvert d'autres pièces qui n'ont rien à voir avec l'affaire de la médiathèque, lors des perquisitions.

 

Plusieurs voies s'offraient au procureur



Plusieurs voies s’offraient au procureur de la République : l’ouverture d’une information judiciaire après l’enquête préliminaire et la présentation du présumé coupable ou innocent devant un juge d’instruction. Dans cette hypothèse, sans doute peu probable d’autant qu’il manque de juges d’instruction tant à Auxerre qu’à Sens, le dossier échappe pour partie au Parquet et relève du juge d’instruction qui instruit le dossier. L’affaire peut durer voire durer longtemps, plusieurs années, par les effets de la procédure. L’instruction d’une certaine manière, ralentit l’affaire sur laquelle il n’y a plus de lumière compte tenu du secret de l’instruction. Seul l’avocat de la partie civile peut parler ainsi que les victimes éventuelles.

L’affaire Marault jugée à moyen ou long terme, ne serait pas une bonne chose pour la vie publique ni pour la démocratie.

Le procureur disposait d’une deuxième voie, celle du renvoi devant le tribunal correctionnel par citation directe. Le présumé innocent ou coupable est convoqué à une date précise pour être jugé. Comme le dossier est clos, que Crescent Marault a reconnu les faits dont la prise illégale d’intérêt et le faux en écriture privée selon son avocat, l’affaire paraît simple.

Seules les sanctions demeurent en suspens : amende (500 000 euros maximum code pénal), prison avec ou sans sursis (5 ans maximum code pénal), période d’inégibilité ( possible, code pénal * ).

Une troisième voie s’offre au procureur, celle de la comparution sur reconnaissance de culpabilité. Le procureur convoque le prévenu et son avocat dans son bureau, et propose une peine. En cas d’accord sur les modalités, le prévenu en l’occurrence Crescent Marault, est présenté devant un juge correctionnel qui doit confirmer ou infirmer l’accord intervenu entre le ministère public et le prévenu. C’est public, mais il n’y a pas de débat. Cette voie semble peu probable dans le contexte actuel car le public, les citoyens, pourraient avoir le sentiment que l’affaire conclue dans le bureau du procureur puis, jugée sans débat, manquerait de limpidité judiciaire.

À la lueur de ces réflexions, ce serait donc la seconde hypothèse qui serait retenue c’est-à-dire, le renvoi de Crescent Marault par citation directe devant le tribunal correctionnel de Sens, qui tiendrait la corde. Dans cette hypothèse, le premier magistrat d’Auxerre attend d’être convoqué.

L’avantage de cette voie est que l’affaire pourrait être jugée dans l’année 2021, c’est-à-dire rapidement et l’audience serait publique. En ce sens et paradoxalement, l’absence d’instruction et de mise en examen tendraient davantage à desservir Crescent Marault plutôt qu’à le servir.

L’avocat de Crescent Marault, Maître Christian Vignet aura sans doute comme ligne de défense d’éviter une peine d’inégibilité à son client car elle le contraindrait ipso facto, en cas de jugement du tribunal dans ce sens, à démissionner de ses mandats, sous réserve d’appel.



Examinons les plus et les moins de l’enjeu


Dans les plus, Crescent Marault est un primo-délinquant dans la mesure où son casier judiciaire est vierge et qu il n’a jamais été pris dans des présumées malversations passées. Ensuite il a reconnu les faits. Cela dit, compte tenu des preuves des pièces à l’appui du savoir-faire des enquêteurs, il n’avait pas trop le choix.

On rappelle que dans un mail adressé à l’ensemble des maires et présidents d'intercommunalités, le Directeur de cabinet bien mal inspiré en l'occurence, avait indiqué que « Ce déroulé est totalement normal et habituel dans ce type de procédure, et bien qu'il aurait dû rester totalement confidentiel, certains ont délibérément choisi de le mettre sur la place publique. C’est le jeu politicien. » (Des maires et délégués du conseil communautaire Ndlr)

Ces affirmations laissent rêveur ...

Dans les éléments à charge, notons que Crescent Marault est un sachant « du droit des marchés publics  » en tant qu’élu et maire depuis 11 ans, sur ses obligations et devoirs ainsi que sur les règles en vigueur.

Deux autres notions apparaissent : l’intentionnalité et la préméditation. Si le premier terme est objectivement avéré, Il reste à savoir si l'enquête judiciaire a pu démontrer le second. Autrement dit, des pièces au dossier attesteraient-elles que le maire-chef d'entreprise avait commandé les meubles à une entreprise du sud de la France à Aurillac, bien avant de passer le marché de l’appel d’offre et qu il avait contacté l’entreprise qui devait lui servir d’écran avant d’être dissoute et lui redonner le marché en douce via une autre société à Ormoy ?

Enfin, il devrait être tenu compte par les juges de l’obligation d’exemplarité qui doit caractériser le premier magistrat de la ville d’Auxerre aux commandes de marchés publics 100 fois plus élevés que ceux de Saint Georges-sur-Bauche.

Crescent Marault qualifie son délit «
d’erreur » qualifiée de « boulette »  par son avocat, ce qui ne prend pas en compte la mesure de la gravité de la chose, puisque l'erreur ou la boulette en question, constitue un délit.
    
Il est piquant de constater que, lors du dernier conseil communautaire de l’Auxerrois jeudi dernier, il a été proposé de mettre en place un « accord de probité » doublé de la nomination d'un "référent déontologique" afin de garantir la transparence et se prémunir contre les conflits d'intérêt entre autres choses. On peut se demander pourquoi cette proposition n’est pas venue plus tôt.

On peut aussi se demander ce que la nouvelle génération d’élus locaux (57 % de renouvellement), peut penser d’agissements de ce type ? Le mot « boulette » rime-t-il avec celui de démocratie ?

Dans le contexte actuel de défiance à l’égard des politiques, ces éléments  pourraient peser lourd dans la balance.

 

 

Pierre-Jules GAYE

 

 

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( * ) Peine de cinq ans d'inéligibilité, qui assortit les condamnations pour délit de manquement à la probité. De quoi s'agit-il ?

Les délits de manquement à la probité sont la corruption, la prise illégale d'intérêt, la concussion et le favoritisme - ou octroi d'avantage injustifié à l'occasion de l'attribution d'un contrat relevant du droit de la commande publique -. Jusque-là, tout élu ou fonctionnaire condamné pour l'un de ces délits était automatiquement condamné à une peine complémentaire prévue à l'article L. 7 du Code électoral : l'inéligibilité pour cinq ans.

L’article 1er de la loi du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique a créé l’article 131-26-2 du Code pénal, qui prévoit le prononcé obligatoire, pour tous les crimes et pour une série de délits mentionnés à cet article (discrimination, escroquerie, concussion, délit d’initié, prise illégale d'intérêt …), de la peine complémentaire d’inéligibilité. Il appartient au juge de prononcer explicitement cette peine et d’en fixer la durée. Toutefois, il peut écarter expressément le prononcé de cette peine, par une décision spécialement motivée, en considération des circonstances de l’infraction ou de la personnalité de son auteur.

 

 

La médiathèque de Saint-Georges-sur-Baulche