Nous avons reçu cette lettre d'une internaute.

"Il y a un peu de temps déjà (Mai 2010) j'ai composé ce poème que je dédiais à Marie Noël et à la ville d'Auxerre après avoir vu sur internet une émission d'Auxerre TV qui lui était consacrée.

J’ai été profondément bouleversée par ces images tout en douceur et simplicité et j’ai compris le lien qui unissait Marie Noël à son village, à sa ville, à son terroir.

Le poème pour l’enfant mort dit par Madeleine Robinson est certainement l’un des plus beaux que j’ai jamais entendu.

Merci à tous ceux qui font que Marie Noël ne meure dans nos esprits et dans nos cœurs. J'étais moi-même étonnée de la retrouver après tant d’années."

Monique Dufaÿs *

Voir la VIDEO en question sur AuxerreTV : Je vous salue Marie Noël

A la recherche de la tombe de Marie Noêl-Marie Rouget

Poème pour Marie Noël


L’hiver au cimetière

L’hiver au cimetière c’est un grand champ de roses
A peine as-tu vécu que déjà elles éclosent
Quand le soleil pâli  imagine l’été
Je me souviens si bien de celle que tu étais

Dans cet océan froid aux lourdes pierres grises
Murmurent des enfants et des femmes lascives
Des vieillards languissant par les années vaincus
Peut-être aussi des poètes disparus

Dans les allées fuyant vers l’au-delà qui chante
J’aperçois tout là-bas les ombres qui me hantent
Les lueurs du couchant effleurent les croix jaunies
Et je me sens chez moi si loin du paradis

Mes pas sont si tranquilles apaisés de silence
Ma vie défiant le temps repense l’existence
L’éternité conquise par cet instant béni
Me rappelle à l’oreille ce qui n’a pas de prix

Je marche comme en rêve au milieu des tombeaux
J’imagine l’enfant que furent au berceau
Ceux qui dans ce jardin résistent à la poussière
Et dont les os blanchis ignorent la lumière

Je monte dans la barque auréolée de nuit
Regarde droit devant ne vois ce qui me suit
Mon esprit quelque part dans les constellations
Cherche encore la réponse à toutes ses questions

Suis-je venue sur terre
Pour goûter l’éphémère

Le 21 Octobre 2010, au cimetière de Saint-Nom la Bretèche

Poème dédié à la ville d’Auxerre

Monique Dufaÿs

Cliquez sur le symbole ci-dessous pour lire le poème composé et illustré par l'auteure

 

Qui est Monique DUFAYS, auteure du poème ?
 

Nous lui avons posé la question. Voici sa réponse.

Qui je suis ? C'est une question à laquelle il m'est très difficile de répondre.

J'ai soixante-dix ans (ou presque), n'ai toujours pas trouvé de réponse et suis presque certaine maintenant de n'en trouver jamais. Ma biographie se résumerait peut-être ainsi : "Elle naquit, elle vécut, elle mourut à Saint-Nom la Bretèche". Elle aurait le mérite de pouvoir être gravée sur la pierre.

J'ai enseigné pendant trente-cinq ans ce qui ne saurait s'enseigner tout en m'interressant à la psychologie des profondeurs. Je dessine pour passer le temps, transcris parfois quelque poème qui tombe du ciel, écris des contes amusants pour mes petites filles ou d'autres bien plus troublants pour moi-même.

Avec mon amie d'enfance ("Soaz") qui par chance est aussi mon alter ego nous avons écrit à quatre mains "un récit plein d'amour, d'humour et  de tendresse" pour mieux conjurer le sort qui l'accablait. Nous avons donné à cet ouvrage le titre du dernier e-mail de sa fille : Mauvaise Nouvelle. Chez elle je fis la connaissance de Michèle Martin qui m'encouragea fort- dois-je dire me contraignit ?- à concourir pour le prix Marie Noël après m'avoir vue composer sur l'ordinateur un poème de circonstance.

Il y avait des décennies que je n'avais pas fait rimer un mot avec un autre. Le pli fut cacheté sur quelque poèmes brouillons et envoyé pour le meilleur et pour le pire. C'est alors qu'interrogeant internet je découvris un reportage d'AuxerreTV avec les images de la vieille dame qui me rappelèrent un temps de ma vie que j'avais presque oublié. Et je composai le poème que je vous ai envoyé. D'autres miraculeusement suivirent. Et j'ignore totalement quand il s'arrêtera d'en pleuvoir.

Vous trouverez en pièces jointes trois de mes dessins (eux aussi se sont mis un jour à pleuvoir par centaines), un poème sur le mystère de l'inspiration et le dernier, né au cimetière de Saint-Nom la Bretèche (où j'ai pu le saisir et le gribouiller sur une enveloppe).
J'ai subi Freud, étudié Adler mais c'est dans la richesse infinie des symboles de l'inconscient collectif tels que Jung les décrit que je construis ma maison.
Je ne sais pourquoi vous ne pouvez lire les images JPEG de la Vieille Dame d'Auxerre empruntées d'ailleurs à Auxerre TV. Je suis très ignorante dans ce domaine. Mais je reconnais qu'avec l'ordinateur et internet nous avons là un merveilleux moyen d'édition et de communication.

Merci d'avoir répondu si vite et si gentiment à mon envoi.

signé : La vieille dame de ... Saint-Nom la Bretèche (Yvelynes)

 

 

Le dessin et l’esprit d’enfance

Je suis née en 1941 au hameau de La Tuilerie et comme tous les enfants du monde qui disposent de papier, de crayons, de craies, de stylets ou je ne sais quoi d’autre, j’ai commencé à dessiner à l’âge de quatre ans. Par bonheur je disposais de feuilles de papier autant que je voulais, rebuts des bureaux des usines Saurer.
Je suis persuadée qu’il existe dans la vie d’un enfant des âges, des moments où son esprit est prêt à recevoir quelque chose et à donner en échange, qu’il s’ouvre à certaines formes de créativité et que ces moments d’ouverture peuvent se refermer s’il ne trouve dans son environnement ce petit rien dans lequel il peut s’engouffrer tout entier. La vie n’est faite que de rencontres et c’est à partir d’elles que nous nous construisons : rencontre avec celle ou celui qui nous dit : ceci est possible ; rencontre avec un mot d’admiration ou d’encouragement ou plus prosaïquement avec ce papier et ce crayon qui tout à coup vous invitent à l’acte.

Elevée par ma grand-mère jusqu’à l’âge de dix ans, je n’ai jamais connu la moindre violence éducative : je n’ai jamais reçu la moindre fessée, encore moins la claque qui pourtant retentissait plus ou moins dans le voisinage, pas même de sévères remontrances. Mon espace de liberté était infini, c’est à dire à ma mesure. Là où se trouve le golf aujourd’hui, s’étendaient de vastes pâturages clos de barbelés qui pour les enfants n’avaient rien de dissuasifs. Les vaches nous regardaient courir à travers les prés et sauter par-dessus les barrières d’un œil aussi paisible que celui avec lequel elles regardent passer les trains. Parfois une génisse nous poursuivait bien un peu, question de s’amuser elle aussi. C’était l’événement de la journée, un peu d’émotion pour mettre du sel dans la vie.

Pour me donner les rudiments de l’instruction élémentaire on trouva non loin de là une femme au foyer qui n’avait jamais enseigné mais qui possédait des qualités pédagogiques étonnantes. Et c’est elle qui m’apprit à lire, à écrire, à compter, à raconter, à calculer, à résoudre des problèmes à ma mesure.
Cependant, envisageant ma dixième année, ma mère estima qu’il était temps de me mettre à l’école là-bas dans sa ville, ce qui impliquait pour moi un déracinement total. En guise de transition, j’irai passer le dernier mois de l’année scolaire, à deux kilomètres de là, dans la classe unique de Mademoiselle E.

Finies la liberté, l’innocence, la joie de vivre. Si j’avais eu quelques connaissances en littérature étrangère, j’aurais sans doute vu écrit en lettres de feu sur la porte de la classe : Vous qui entrez ici perdez toute espérance. C’était donc ça le monde que je devais affronter : en classe je n’entendais que cris et reproches à l’égard de mes petites et grandes camarades, je ne voyais que pièges, injustice et mépris. Un vent de folie soufflait quelque part me plongeant dans la perplexité et l’effroi. Par bonheur la maîtresse me considérait à peine et ne m’interrogeait jamais : j’étais tenue à l’écart comme une étrangère nouvellement arrivée d’une autre planète et qui par définition ne comprend rien au langage des maîtres.

La récréation était une autre épreuve : que de mesquineries, de ragots, de lutte pour le pouvoir ! Je me sentais venue d’un autre monde (ce qui était strictement vrai) et condamnée pour ainsi dire à vivre avec un permanent sentiment d’étrangeté du moins aussi longtemps que je me trouvais à l’école.
Je continuais cependant à dessiner à mes heures, car par bonheur mon esprit n’avait pas eu le temps de se fermer à la créativité et j’oubliais vite la classe de mademoiselle E. lorsque je rentrais à la maison.

C’est dans une école de Puteaux que je fis mes premiers grands pas dans le cursus scolaire. J’avais un peu plus de dix ans. Hélas le monde cruel que j’avais connu dans l’école du village et qui m’avait laissée désemparée était pratiquement semblable dans cette école de banlieue ouvrière où les filles d’ouvriers avaient remplacé celles plus robustes des paysans. Hormis la personnalité de la maîtresse qui me parut moins barbare, rien n’avait changé dans les relations humaines. Il était clair que les élèves n’étaient pas là pour s’amuser et prendre du plaisir en apprenant. Ecouter, apprendre, comprendre : tel était l’ordre des priorités et je ne me souviens pas qu’expliquer et faire comprendre fissent partie d’une attitude pédagogique repérable chez la maîtresse. Pour radicaliser mon déracinement, la maîtresse, originaire du sud-ouest avait un tel accent que je ne comprenais pas un traitre mot de ce quelle disait. Il me fallut beaucoup d’attention et d’imagination pour arriver à déchiffrer tant bien que mal les consignes. La chose n’était guère facilitée par le support du livre.

Au début de l’année nous n’avions qu’un livre pour deux que ma voisine de gauche, avec une application déraisonnable, cherchait à m’occulter avec son coude droit. Aurais-je eu l’idée de protester ? Pas le moins du monde. Ni l’envie, ni l’idée. Et qui plus est, je n’éprouvais pas la moindre colère à l’égard de tels comportements qui m’apparaissaient seulement…. bizarres. Je me mettais en état d’observation. Et je me débrouillais incroyablement bien quand j’y pense. Là encore il me fallait faire preuve d’une incroyable imagination pour arriver à lire le libellé d’un exercice dont la plupart des mots m’étaient cachés ou qui m’apparaissaient furtivement lorsque ma voisine par inadvertance faisait un faux mouvement.

Mais là encore pour des raisons que je ne m’explique pas la chance me sourit : je devins rapidement la chouchoute de la maîtresse sans devenir pour autant la bête noire de la classe. En ce qui concerne l’attitude de la classe à mon égard il y a peut-être une explication : je permettais à mes voisines de jeter des regards furtifs sur la solution des problèmes sur lesquels on les laissait sécher pendant des heures jusqu’à ce qu’elles apportent au bureau le Résultat. Elles mêmes refilaient le bébé à leur voisine etc. jusqu’à ce que toute la classe soit enfin délivrée. Il faut ajouter qu’il n’y avait en moi ni violence, ni agressivité. Si j’avais connu à cette époque l’ethnologie j’aurais peut être su que moi l’étrangère, mise en situation d’étrangeté par les mœurs inconnues auxquelles j’étais confrontée, j’adoptais tout naturellement une attitude d’observation passive dans le but de comprendre sans influencer.

Dans ces classes des années cinquante, couture et dessin étaient au programme (je détestais la couture) et il arrivait à la maîtresse de nous faire illustrer des fables de La Fontaine ou des contes de Perrault. Ce qui était une excellente idée. Je me souviens d’une certaine bande dessinée par mes soins et qui eut un franc succès auprès des maîtresses (celles-ci passaient souvent d’une classe à l’autre pendant les cours, question de se dégourdir les jambes, de glaner un renseignement ou de présenter à leur collègue une élève du type bizarre qui par exemple se protégeait le visage lorsqu’on levait la main sur elle). Il s’agissait peut être de l’illustration du Petit Chaperon Rouge (la mémoire ici me fait défaut).

Cela me valut la visite de la directrice qui me demanda de dessiner quelque chose sur la remise des prix, pour la fin de l’année scolaire. Ce dessin devait être exposé en bonne et due place dans la salle de réunion pour accueillir l’aréopage des inspecteurs,  des maîtresses et des  parents d’ élèves réunis pour l’occasion. Je dis oui sans hésiter et m’exécutai en toute innocence. Quelques jours plus tard, ma mère un peu inquiète fut convoquée par la directrice, mais ressortit du bureau rassurée avec au coin des lèvres un sourire énigmatique : « La directrice juge que ton dessin pour la remise des prix est très bien, original mais elle ne pourra pas l’afficher : elle dit qu’il est trop osé. » Il fallut m’expliquer longuement pourquoi.

La vérité sort de la bouche ou des crayons des enfants mais évidemment je n’en savais rien. Sur mon dessin les élèves étaient un troupeau de moutons bêlants, sur l’estrade les maîtresse étaient de grosses vaches endimanchées vêtues de robes à fleurs ridicules comme les personnages de Walt Disney (dont mon esprit était amplement nourri) et les inspecteurs représentés par des animaux exotiques grotesques, imposants ou féroces, genre hippopotames, rhinocéros, lions ou éléphants. Pour mieux marquer l’humanité de tout ce petit monde, la station verticale était évidemment respectée. On ne pouvait pas s’y tromper.

Le langage de l’enfance est un langage primitif et immédiatement  symbolique comme l’est, dans nos rêves, le langage de l’inconscient (je préférerais dire « l’esprit » car l’esprit est indifféremment Toute-Conscient ou Tout-Inconscient selon le point de vue où l’on se place). Contrairement à ce que dit Freud, je ne pense pas que le rêve ou le dessin travestisse quoi que ce soit d’un désir refoulé ou d’une idée qu’on aurait du mal à dire clairement par honte ou convenance. Le symbole n’est pas un déguisement. Notre esprit se meut dans la sphère symbolique comme un poisson dans l’eau, un peu comme Mao qui traitait les américains de tigres de papier ou comme  ce chef de guerre  japonais cassant un œuf devant ses soldats proclamait : le blanc s’en va, le jaune reste ! Le symbole n’a pas besoin d’explication et encore moins d’analyses savantes. Nous le comprenons immédiatement, instinctivement, sans avoir besoin d’y réfléchir.

Les élèves de la classe à laquelle j’appartenais, ne m’apparaissaient pas traités comme des moutons : ils étaient des moutons bêlants ; les maîtresses n’étaient pas semblables à de grosses vaches : la comparaison a quelque chose d’intellectuel, de conscient, de raisonné ; elles étaient des grosses vaches de la même manière que les Bororos africains prétendent sont selon leur dire des araras (sorte de perroquets). C’est du moins ce que je voyais avec mes yeux innocents sans comprendre le moins du monde ce que cette représentation pouvait avoir d’offensant. Que l’on se rassure cette triste expérience ne m’a pas empêchée bien plus tard d’opter pour l’enseignement. Ce qui montre bien que rien n’est écrit d’avance.

L’enfance ne m’a pas quittée et même si mes dessins ont quelque chose de plus mûr, de plus élaboré que les dessins d’enfants, c’est toujours l’enfant qui dessine en moi avec la même innocence, le même non-savoir car je n’ai jamais appris à dessiner. Devant l’un de mes dessins, je suis comme vous : je l’interroge, je cherche son sens, je le psychanalyse. N’est-ce pas cette même démarche que nous avons avec nos rêves ? - Qu’est-ce que tu veux dire toi ? Souvent mes dessins me répondent quelque chose, me livrent un secret ; un mot, un titre, une phrase, plus rarement de quoi écrire un poème. - Ah bon ? C’est donc ça ! Mais ce secret ils pourraient le livrer à quelqu’un d’autre. Je ne suis pas jalouse. Un jour en quelques courbes un dessin s’est créé : visages enchevêtrés, regards énigmatiques. Né sans nom. Je tends le dessin à ma fille et lui demande : « Comment s’appelle-t-il ? » Sans hésiter elle répond : « L’expérience interdite ». Je ne lui ai pas demandé pourquoi car j’ai bien vu qu’elle n’avait pas réfléchi. Alors j’ai écrit au dos du dessin : l’Expérience Interdite, point/barre, comme on dit aujourd’hui.

Le dessin n’est pas pour moi une passion. C’est plutôt une détente un passe-temps, une évasion. Grace à lui, je ne connais ni l’ennui, ni l’inactivité. Il meuble mes attentes, il m’emporte très loin dans des mondes parallèles qui n’existent que pour moi, il me permet de sublimer les moments difficiles de la vie.

Et c’est depuis fort longtemps que le dessin est pour moi un remède contre l’ennui de l’attente. Je me souviens très bien des salles d’attente de mon enfance car ma mère affectionnait particulièrement ces médecins charismatiques qui guérissaient avec panache les maladies dont ils vous avaient gracieusement affublés (car personne n’avait l’idée de faire contrôler leur diagnostic) lorsque vous vous sentiez seulement un peu fatigués ou inquiets. C’étaient des espèces de charlatans diplômés et manipulateurs dont les salles d’attente ne désemplissaient pas. Il nous fallait attendre de longues heures avant d’être reçues par le maître qui avec des remèdes inédits de sa fabrication guérissait en quelques mois des affections que vous n’aviez jamais eu. On leur disait merci, on racontait leur exploit et le bouche à oreille leur rapportait une clientèle de plus en plus nombreuse. Les heures d’attente que nous passions dans leur salon devenaient les garantes de leur efficacité et de leur savoir. Ma mère allait alors m’acheter un petit carnet à dessins et des crayons et pendant des heures je croquais tous ces visages en attente et j’avais de quoi faire. A cette époque j’excellais dans la caricature. Devinez pourquoi.

Mais l’imaginaire est aussi un lieu d’évasion et de recueillement tout à la fois. Il m’est arrivé de rester dix ans sans dessiner (faute de temps, de solitude, de place où me poser ou sans bonne raison) mais je porte toujours en moi la certitude que je peux le faire. C’est un peu comme la bicyclette avec cette différence que je ne peux pas oublier ce que je n’ai pas appris.
J’ai beaucoup dessiné lors des grandes mutations de ma vie : l’adolescence, mes premières années d’enseignement, ma rencontre avec la psychanalyse freudienne, lorsque mes enfants ont eu besoin d’histoires illustrées, ma rencontre avec des psychologues de l’école adlérienne et depuis quelques années ma confrontation avec l’extrême vieillesse et la mort. Je ne parle pas de moi évidemment.

Pour moi tous les êtres humains, jeunes et moins jeunes, voire même très âgés, ont quelque chose de commun. Et ce quelque chose c’est l’enfance, l’enfance qui ne se perd jamais quelle que soit son enfouissement et à qui nous donnons parfois la parole.
Un jour mon amie d’enfance hésitait à s’acheter un petit objet artisanal qui lui plaisait beaucoup mais qu’elle jugeait inutile. Elle ne se trouvait pas de raison valable pour se faire un tel cadeau et refusait obstinément mon obole. Je lui dis alors : « Fais plaisir à la petite fille qui est en toi. » Ce qu’elle fit immédiatement, soulagée.
Lorsque ma première petite fille eut cinq ans j’écrivis pour elle plusieurs petits contes illustrés qui avaient fait auparavant l’objet d’un récit oral en bonne et due forme. Il s’agissait pour moi de prolonger par l’écriture le plaisir que nous avions eu toutes les deux : l’une racontant, l’autre écoutant, les deux riant. Le premier intitulé Poissons d’Avril eût beaucoup de succès auprès de mes amies sexagénaires et plus et de certains de leurs parents octo.

Une « metteur »  en scène de nos amies qui dirige une troupe d’amateurs me demanda si elle pouvait le faire conter en première partie de son spectacle. Le problème se posa alors : A qui s’adresse le conte ? Faut-il faire venir les enfants en première partie ? Ce qui posait souvent des problèmes pratiques. En fait, là où il y a des hommes et des femmes, il y a toujours des enfants. Et encore une fois ce conte comme tant d’autres s’adresse à l’enfant qui est en nous. Comme il est bon de l’amuser, de le distraire, de le faire rire cet enfant-là. Ce serait tellement dommage de l’oublier, de le mettre à l’écart, de ne plus jamais penser à lui !

Le monde dans lequel nous vivons réclame de nous beaucoup trop de sérieux, il n’y a plus assez de place pour le jeu de l’esprit qui est pourtant la condition de toute liberté, plus de place pour l’enfance innocente qui s’amuse de tout et de rien. Même les enfants d’aujourd’hui avec leur six ou sept heures d’école par jour, les devoirs journaliers, « les activités » en tous genres n’auront bientôt plus le droit de rêver. Quand je pense que pendant quatre années de ma jeune vie (précisément ces quatre années où je ne suis pas allée à l’école, entre six ans et demi et dix ans) je n’ai étudié dans un cadre précis qu’une seule heure par jour, cinq jours par semaine, sept ou huit mois par an…. 

Monique Dufaÿs