C’était la terre de Mélusine. Le lieu qui la rendait invisible un jour par an, alors que tapie dans l’eau noire du bassin nourri par la source, elle sentait les nénuphars effleurer son flanc froid, son sein ferme et pâle, sa chevelure serpenter sur l’eau bercée d’un va-et-vient tellurique. Invisible aux yeux de tout humain, même de cet époux qui vénérait sa beauté surréelle, et que l’angoisse et la jalousie déchiraient lors de cette disparition annuelle qu’elle refusait de justifier.


C’est en larmes que, sourde au bruyant désespoir de cet homme adoré elle s’éloignait, puis laissait sa nature reptilienne étreindre le bas de son corps dans un rutilement d’écailles aux teintes de galets et de mousse. L’onde fraiche voilait sa peau d’une petite brume aux senteurs de vase et d’alevins, et elle enroulait ses anneaux sinueux autour des roseaux, invisible, créature du monde des forces, des planètes, des lumières multiples et de la respiration des choses immobiles. Gouttelettes, bulles crevant la surface de l’eau avec la volupté légère d’un frisson.


Elle revenait à l’époux dont le cœur saignait, si apaisée et belle qu’il en soupçonnait le souffle et les bras d’un autre, et l’année passait sans qu’il put se convaincre qu’elle n’aimait que sa belle poitrine où sa chevelure serpentait parmi les poils qu’elle aimait tendrement effleurer. Que son toucher seul appelait et trouvait le cri de son cœur amoureux. 


C’est ainsi donc qu’un jour, elle emmena malgré elle, dans le sillon de son évasion, l’homme dont la paix avait déserté l’âme, et qu’elle fut découverte dans toute la vérité de sa double nature : femme et serpent. La brutalité d’une réalité abjecte arracha à l'époux un cri, bientôt étouffé par celui de Mélusine, si profond et incandescent que le château et la forêt tremblèrent de la première pierre à la dernière feuille, éventrant le sol, griffant la surface des eaux. Des larmes d’amour jaillissant d’entre ses paupières mi-closes, elle regarda avec une sauvage horreur l’homme qui n’avait pas su se contenter du message de son cœur, et avait suivi la jalousie dans ses méandres odieux. Puis elle se précipita dans le puits.


Elle y vit encore aujourd’hui, dans le fond de ce puits qui luit sans un frémissement en bas des 104 marches menant au sommet du château de Maulnes, dans un mouvement sinueux et régulier. La lumière s’y déverse par un savant travail de percées, comme les facettes d’un diamant féérique. Silencieuse, la créature joue de sa transparence, mais on peut entendre, parfois, des sanglots qui courent de la vasque au nymphée, et parfois un long cheveu libéré, pris dans les barreaux de la grille, vole vers la lumière comme une main tendue.

 


Maulnes, le château aux cinq côtés et au puits nombril plongeant de la lumière vers le monde secret, et Mélusine, la femme des deux mondes qu’un époux jaloux condamna à un seul.

 

                                               Suzanne DEJAER

Autres articles AuxerreTV sur Maulnes


Les mystères de Maulnes


Déjà 6000 visiteurs à Maulnes en attente


Maulnes, le nombre d’or et Pierre Vincendon

 

Maulnes : visite du château avec l’architecte en chef Paul Barnoud