Marc Meneau, sans doute l'artiste culinaire le plus doué, a laissé l'Espérance au fond de la boîte de Pandore, ce qui est déjà beaucoup.

La liquidation judiciaire n'a pas encore débouché sur un plan de reprise près d'un an après le jugement du tribunal. Il faudrait non seulement épurer le passif de l'ordre de 5 à 7 millions d'euros, mais aussi investir pour moderniser et rafraîchir l'entreprise qui employait à Saint-Père-sous-Vézelay une cinquantaine de salariés après en avoir fait travailler une centaine autrefois. Un lieu mythique. Tellement qu'on a du mal à imaginer un autre seigneur des lieux.

La Côte Saint-Jacques à Joigny, autre lieu mythique lié à l'ascension de l'AJA sur la route de Paris et des finales de Coupe, a perdu l'année dernière sa troisième étoile. Il semble loin le temps où Michel et son épouse enflammaient les soirées de leurs grands rires en cascade toque sur le crâne, avant le souterrain creusé sous la nationale pour gagner la rive de l'Yonne. C'était aussi avant l'autoroute Troyes-Dijon, qui a dérouté les hordes d'Allemands et ressortissants des pays nordiques vers la côte de Nuits.

Et voici que le relais Loiseau à Saulieu qui semblait à l'abri depuis la mort du patron Bernard, perd aussi sa troisième étoile au Guide Michelin 2016. Un Guide qui n'a pas fait de cadeau cette année semble-t-il, mais continue de faire la pluie et le beau temps des chiffres d'affaires.

En effet, tous vous diront et démontreront que la fameuse troisième étoile en moins, correspond presque mécaniquement, à 30 % de chiffre d'affaires en moins. C'est terrible car du jour au lendemain, difficile de réduire les charges fixes. C'est un peu par comparaison imagée, la descente de Ligue 1 en Ligue 2 pour un club qui se retrouve étranglé.

Jean-Michel Lorain à Joigny (La Côte Saint-Jacques) avec deux étoiles, Patrick Gauthier à Sens (La Madeleine) et Keigo Kimura à Auxerre (L'Aspérule)  avec une étoile, se maintiennent.

Un regret ? Les Chefs Anthony Salliège et Michel Vignaud à l'Hostellerie les Clos à Chablis espéraient une étoile. Les hivers ne sont pas faciles dans la région. Or une étoile, amène par les circuits codés et programmés les touristes et visiteurs à la découverte des terroirs et ses produits au travers de diverses vitrines.  Michel Vignaud, voilà longemps qu'il opère.

Faut-il vraiment se plaindre ?

Les étoiles filantes disparaissent invariablement à l'horizon. C'est la loi cosmique. Et nous n'envisagerons pas ici ces étoiles qui disparaissent sous le poids de leur propre gravité dans un trou noir.

Qui peut prétendre à l'éternité au prétexte d'une perfection, scellée dans le temps, un morceau de temps ? Les hommes vieillissent comme les cuisines. La société évolue ainsi que les comportements, les attentes et les besoins.

La mondialisation et les progrès de la culture par les échanges de savoir, ont fait atterrir à Auxerre un cuisinier japonnais qui avait tenté sa chance à Saint-Julien-du-Sault. Son étoile obtenue l'année dernière, dans un petit restaurant avec peu de tables rue du Pont, consacre l'évolution et la qualité des cuisines du monde accomodées aux terroirs.

Alors vive la jeunesse, vive tous ces jeunes formés dans les Cifa. Ils remplaceront forcément les anciens même si ceux-ci n'aspirent pas au repos.

Puissent certains d'entre eux, nés sous une bonne étoile, entrepreneurs et forts de l'amour de leur art, percer et s'élever comme leurs maîtres jadis, dans le firmament des tables à dresser.

Il leur faudra beaucoup d'amour, beaucoup, et de ténacité, pour survivre et partager les trésors de recettes tant convoités, qu''ils portent en eux et qu'ils ne soupçonnent pas toujours.

Aujourd'hui, c'est l'amour qui manque le plus. Or sans amour absolu, dans ce métier, on ne peut pas réussir. Une condition nécessaire mais pas suffisante ...

C'est dire que c'est dur.

 

Pierre-Jules GAYE