L'affaire Domanys, un scandale financier et de gouvernance (31 millions de déficit en 2011) pollue la vie publique dans l'Yonne, à différents niveaux. Le paroxysme a été atteint avec la publication du rapport de la MIILOS (mission interministérielle d'inspection du logement social) au mois de juillet 2013.

On précisera que la Mission interministérielle d’inspection du logement social (Miilos) est un organisme de contrôle placé sous la double autorité du ministre chargé du logement et du ministre chargé de l’économie représentés au sein d’un comité directeur. La Miilos est la seule mission d’inspection de niveau national dont le champ exclusif d’intervention est le logement social. Elle effectue des contrôles systématiques sur place pour évaluer la gestion des différents organismes. L’activité de la Mission est régie par des dispositions législatives et réglementaires du code de la construction et de l’habitation.

Le rapport de la MIILOS est accablant pour les dirigeants de Domanys et son premier et principal responsable, le président du conseil d'administration, Alain Drouhin, conseiller général élu dans le canton de Bléneau, suppléant du député Jean-Pierre Soisson (2007-2012) qui le préféra à Guillaume Larrivé.

Qui est Alain Drouhin ? Ce n'est pas un poussin du mois d'août. Alain Drouhin est un homme qui a exercé dans le passé de hautes responsabilités en tant que sous-directeur du Centre hospitalier d'Auxerre dirigé par son épouse, secrétaire général de la mairie d'Auxerre de Jean-Pierre Soisson, dont il fut le directeur de cabinet au ministère du Travail. Autrement dit, Alain Drouhin n'est pas un ignorant, il connaît la musique, il sait lire un bilan et manier les comptes. Et d'autant mieux qu'il fut formé par un maître en la matière, Serge Franchis fonctionnaire trésorier payeur général, ancien sénateur et fidèle adjoint de Jean-Pierre Soisson.

Certains étaient convaincus qu'Alain Drouhin allait tirer les conclusions du rapport de la MIILOS et assumer sa responsabilité devant les élus en présentant sa démission, compte tenu de la faillite de sa gestion, épinglée pour de nombreuses irrégularités et actes illégaux.

Mais c'est le contraire qui s'est produit dès lors qu'Alain Drouhin s'est exonéré, affirmant qu'il n'était pas au courant de la situation financière que lui aurait caché son ancien directeur général décédé depuis, d'une crise cardiaque. Pas question donc de démissionner au contraire, il s'est accroché coûte que coûte à son poste. Alain Drouhin jouirait-il d'un tel pouvoir de nuisance qu'il puisse s'affranchir ainsi de tout ? Sans doute cette attitude, ce comportement, furent la goutte d'eau qui a fait déborder le vase, provoquant une certaine indignation dans divers milieux, y compris politiques. Trop c'est trop. Et c'est tout le problème.

Le fruit mûr a pourri et est prêt à tomber.

 

Alain Drouhin indéboulonnable ?

Les élus de l'opposition au conseil général se sont emparés du dossier et réclament la tête d'Alain Drouhin à la tête de l'Office public. Ils l'ont fait lors d'une conférence de presse, vendredi dernier, à l'issue de la réunion de la commission permanente. Il faut souligner que d'importantes échéances électorales arrivent dans les deux années à venir : municipales, cantonales, régionales. Voilà comment l'affaire Domanys s'est politisée pour devenir l'affaire Drouhin, étiquetté UDI (union des démocrates et indépendants) ex UMP qui a rallié André Villiers, Patrick Gendraud (ex UMP) et Guy Bourras les anciens francs tireurs affranchis de l'UAY (union pour la majorité départementale). La campagne électorale est lancée.

Mais on ne déboulonne pas facilement un président d'Office public d'HLM. Les textes sont précis. Domanys est le bras armé du conseil général en matière de logements sociaux. Le conseil d'administration est d'ailleurs verrouillé par des délégués élus par le conseil général, soit qu'il s'agisse de conseillers généraux en personne (il y en a 6 dans l'actuel conseil d'administration) soit qu'il s'agisse de délégués désignés ou nommés par l'assemblée départementale dans des organismes qui dépendent du conseil général car financés par lui.

Comment le président de Domanys, Alain Drouhin, UDI ex UMP, par ailleurs vice président du conseil général de l'Yonne chargé des finances, pourrait-il être démis de ses fonctions ? Il existe trois réponses à cette question.

1/ Il décide de remettre sa démission au conseil d'administration qu'il préside. Or il ne l'a pas fait ou pas cru devoir le faire. Ce n'est donc pas, aujourd'hui, qu'il va le faire.

2/ Il peut être démis de ses fonctions par le ministre du logement, qui a aussi la prérogative de dissoudre le conseil d'administration. On remarquera que le préfet n'a aucun pouvoir dans ce domaine.

3/ Le conseil général de l'Yonne d'où émanent les délégués du conseil général à Domanys, peut retirer sa délégation à Alain Drouhin. Dans cette hypothèse, le conseil général doit désigner un autre représentant au conseil d'administration de Domanys afin que ce dernier procède à l'élection d'un nouveau président.

 

Le coeur de l'exécutif touché

C'est cette dernière hypothèse qu'exploitent les élus de l'opposition, au nombre de 15 si l'on se réfère au groupe d'opposition (PS, PC, Vert et sensibilités) créé lors de l'élection du président de l'assemblée départementale, en mars 2011. Or Alain Drouhin fait partie de la majorité départementale composée de diverses sensibilités de droite. Mathématiquement, le voeu ou la délibération demandée par les élus d'opposition ne devrait donc pas, théoriquement, recueillir de majorité, vendredi, lors de la séance plénière de rentrée. Et d'autant moins que Alain Drouhin est un proche d'André Villiers et de Patrick Gendraud (ils sont tous les trois UDI), le président du conseil général et le premier vice-président. Bref, c'est l'exécutif, le coeur même de l'exécutif du conseil général qui est touché.

C'est la raison pour laquelle sans doute André Villiers a cru devoir monter au créneau pour défendre son deuxième vice-président chargé des finances du département ... , la première fois en affirmant que le rapport de la MIILOS était une "coquille vide", ce qui a aussitôt fait réagir le préfet qui l'a dénié ; une deuxième fois en manifestant sa colère (vraie ou feinte ?) de manière inopportune lors de l'inauguration de la foire d'Auxerre, vendredi dernier, colère au demeurant ignorée par le quotidien départemental dont le propriétaire Centre France, est le nouveau gestionnaire d'Auxerrexpo.

Dans ces conditions, André Villiers ne peut plus reculer, semble-t-il. L'affaire est politique par excellence si l'on ose dire. C'est peut-être justement la politique au sens noble qui va surgir, vendredi, dans la salle des délibérations de la Pyramide place de la Préfecture. Surgir là où on ne l'attend pas. Car qui peut affirmer que les élus de la majorité non inféodés aux centristes qui gouvernent, vont rester inertes et se comporter comme des godillots ?

L'affaire Domanys relève aussi de la morale publique, de l'idée que s'en font les politiques. Déjà, le sénateur Poyaudin Pierre Bordier (UMP), un homme qui n'est pas un "politique" et dont la "droiture" est connue, a mis les pieds dans le plat en disant ce qu'il pensait de la situation des communes mises en difficulté par la gestion de Domanys : des terrains vendus mais non construits et pas de perspectives.

Et puis il y a les hommes, leurs faiblesses, leurs blessures. On pense au précédent président du conseil général et député UMP Jean-Marie Rolland, médecin à Vermenton. Objectivement déboulonné et trahi par son propre camp, par les siens.

D'abord au conseil général, par le putsch des centristes et le coup de poker joué par André Villiers à l'époque Nouveau centre. En mars 2011, réélu conseiller général au second tour de scrutin, coup de théâtre en début de séance, Jean-Marie Rolland ne se représente pas au fauteuil de président de l'assemblée départementale où il n'aurait sans doute pas été réélu. Ensuite dans la deuxième circonscription de l'Yonne par Patrick Gendraud, bras droit du président Villiers et maire de Chablis qui s'est porté candidat à la députation en juin 2012, provoquant objectivement l'élimination de Jean-Marie Rolland, battu de moins de 200 voix par Yves Caullet, le maire socialiste d'Avallon.

Quelle sera son attitude ? À tout le moins peut-on penser qu'il demandera des comptes dès lors que Alain Drouhin était délégué par le conseil général à Domanys sous sa présidence et se trouve donc impliqué moralement. Jean-Marie Rolland a encore ses fidèles dans l'assemblée et pèse au moins huit voix. En prenant l'hypothèse où les voix des oppositions se conjugueraient, 15 (groupe) + 8 (Rolland) = 23, cela donnerait une majorité de 2 voix.

 

Des élections binominales en 2015

À deux ans des nouvelles élections des conseillers généraux, en 2015, la donne change. En effet, la réforme impose un redécoupage des cantons sur une base de 16 000 habitants (à la louche) afin de rééquilibrer la sous-représentation urbaine et la sur-représentation rurale. Le nouveau découpage devrait être connu à la fin du mois d'octobre.

Dans les grands cantons il y aura désormais  4 représentants soit un homme et une femme en titulaires et un homme et une femme en suppléants. Autrement dit, 16 conseillers généraux actuels sont condamnés à perdre leur siège de titulaire puisque le conseil général sera forcément composé de 21 femmes et 21 hommes. Aujourd'hui, elles ne sont que 5 femmes sur 42. C'est une véritable révolution en perspective. Hors les partis, il faudra trouver des candidates.

En attendant ce "grand coup de balai" ou ce renouveau électoral, comme on voudra, l'assemblée départementale est confrontée à un problème politique mais aussi de moralité publique. Domanys est le bras armé, l'émanation du conseil général qui est donc la puissance suprême responsable moralement, élue par le peuple à travers ses représentants.

Certes, d'aucuns peuvent mettre en cause la compétence des élus et ne manquent pas de le faire comme certains extrémistes. Le problème c'est que nier la compétence des élus, c'est nier la démocratie.

 

Pierre-Jules GAYE


 

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